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La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ? (rapport du Sénat – 22/09/2021)

Comment dépasser le « mantra d’une Chine aux trois visages » : partenaire, concurrent et rival systémique pour définir des politiques cohérentes, interroge le rapport d’information du Sénat, intitulé La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ?

Les cinq auteurs Pascal Allizard, Gisèle Jourda, Édouard Courtial, André Gattolin et Jean-Noël Guérini ont auditionné une cinquantaine de personnes avant de présenter leurs conclusions à notre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, le 22 octobre dernier.

À quelques semaines de la présidence française de l’Union européenne, ce rapport souligne le rôle déterminant que notre pays peut jouer pour renforcer de l’autonomie stratégique de l’Union européenne tout en maintenant le dialogue avec la Chine.

Un dialogue pour progresser avec elle dans l’enjeu essentiel qu’est la protection de l’environnement ; un dialogue exigeant en termes de défense des droits de l’homme qui vise à la mise en place d’une mission d’évaluation de la situation au Xinjiang ; un dialogue commercial ambitieux ne négligeant aucun point sensible comme l’ouverture du marché chinois, la transparence des marchés publics ou la protection de la propriété intellectuelle.

Le rapport remarquable de mes collègues est sorti concomitamment avec celui de l’Irsem (Institut de recherche stratégique de l’École militaire) nommé Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien (*).

L’Irsem définit le sharp power comme le recours à la subversion, l’intimidation, et les pressions qui se combinent afin de promouvoir l’autocensure. Aussi, afin de situer la frontière entre l’influence acceptable et l’ingérence inacceptable, on peut se poser la question de la réciprocité. Le parti communiste chinois tolérerait-il que nous fassions en Chine ce qu’il fait chez nous ? C’est précisément parce que nous ne définissons pas de limite que la Chine se croit tout permis.

Le rapport du Sénat doit nous aider à fixer des barrières et des garde-fous au travers de 14 recommandations pour guider la politique française et européenne vis-vis de la Chine.

La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ?
Rapport d’information n° 846 (2020-2021) de Pascal Allizard, Gisèle Jourda, Édouard Courtial, André Gattolin et Jean-Noël Guérini, fait au nom la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, déposé le 22 septembre 2021
Disponible au format PDF
Synthèse du rapport

(*) Extrait : C’est un « moment machiavélien » au sens où le Parti-État semble désormais estimer que, comme l’écrivait Machiavel dans Le Prince, « il est plus sûr d’être craint que d’être aimé ». Ce qui correspond à une « russianisation » des opérations d’influence chinoises.

Routes de la soie : peut-on croire au gagnant-gagnant avec la Chine ?

L’expression “routes de la soie” frappe notre imaginaire collectif et c’était bien l’intention du président Xi Jinping lorsqu’il a lancé, en 2013, ce projet de relier la Chine à l’Europe et à l’Afrique orientale, en développant des lignes de communication routières, ferroviaires, maritimes et électroniques.

En octobre 2017, la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a constitué un groupe de travail consacré à ces nouvelles routes de la soie. Le 30 mai dernier, notre commission a entendu les conclusions de ce groupe de travail, coprésidé par mes collègues Gisèle Jourda et Pascal Allizard (à l’image).

Leurs observations et recommandations figurent dans un rapport intitulé : Pour la France, les nouvelles routes de la soie : simple label économique ou nouvel ordre mondial ?. La question se pose âprement puisqu’aujourd’hui 80 % des trains arrivés chargés de produits chinois en France en repartent vides…

Il faut reconnaitre à la Chine l’art de la patience et la vertu du travail à long terme. Les routes ne s’achèveront qu’en 2049, pour le centenaire de la fondation de la République populaire de Chine.

Il est légitime que la Chine veuille s’affirmer comme une grande puissance mondiale, mais elle trace son chemin largement à l’écart des règles du jeu occidentales, fondées sur la réciprocité des échanges, la transparence commerciale et la probité juridique. Ne parlons même pas de valeurs démocratiques ou de libertés publiques.

Alors, la France peut-elle s’engager sous sa propre bannière sur les routes de la soie ? Je ne le crois pas. Seule l’Union Européenne a la taille critique pour contrebalancer l’émergence de cette puissance aux aspirations dominatrices.

Je suis intervenu en ces termes :

Extrait du rapport (p.138) M. Olivier Cadic. – Les nouvelles routes de la soie vont faire de la Chine la première puissance mondiale du XXIe siècle. Je ne suis pas sûr que la Chine se soucie d’ailleurs réellement d’obtenir le remboursement de ses prêts. On pourrait presque assimiler ces prêts à de nouvelles formes de « subprime » international : pour rembourser les pays devront céder leurs infrastructures ou une partie de leur territoire. La Chine est un pays indépendant qui assure son indépendance en cherchant à rendre les autres pays dépendants d’elle-même.

Certains investissements sont d’ailleurs remboursés. C’est le cas dans l’Union européenne. L’Europe finance de grands travaux opérés par des entreprises chinoises avec des personnels chinois, je le vois notamment au Monténégro ou en Serbie.

En Nouvelle-Zélande, l’année dernière, 350 diplomates chinois étaient déployés à Wellington. C’est par l’apprentissage du chinois que la Chine étend là son influence. Des enseignants de langue chinois sont mis à disposition des écoles gratuitement.

Les routes « cyber » de la soie et le développement de champions nationaux tels qu’Alibaba posent également des questions. La Chine paraît construire un monde orwellien au service d’une unité chinoise dans un espace clos par une « muraille de Chine cyber ».

Je suis, à titre personnel, très réservé sur la recommandation tendant à ce que la France entre dans ces nouvelles routes de la soie. Le fondement de l’Union européenne est son union commerciale qui en a fait la première puissance commerciale du monde. Et la Chine, vous l’avez évoqué, cherche à diviser l’Union européenne et d’une manière générale les organisations multilatérales, en mettant en place des accords bilatéraux. Je trouve donc compliqué de recommander d’engager un approfondissement de notre relation bilatérale avec la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Nous sommes trop petits pour faire face à cette organisation.

Vous avez évoqué le groupe Quad, sans mentionner le concept de «bouclier de la liberté». Il me semble que ce qui est en jeu c’est un monde orwellien face à un monde démocratique. Le Japon, l’Inde, l’Australie et les États-Unis sont des pays démocratiques qui appliquent les règles de protection commerciale auxquelles nous sommes habitués. Le géant Alibaba attire toute l’industrie cosmétique et on peut se demander quel sera l’avenir des brevets des molécules cosmétiques. Il nous faut avoir une stratégie pour défendre l’Union européenne qui est un espace de droit.

Source : “Pour la France, les nouvelles routes de la soie : simple label économique ou nouvel ordre mondial ?” Rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées par le groupe de travail sur les nouvelles routes de la soie par Pascal Allizard, Gisèle Jourda, co-présidents ; Édouard Courtial et Jean-Noël Guérini, sénateurs

Crédit photo : Par Lommes — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=58884083