Décidément, la transparence en politique française est encore une idée neuve.
Demander à son député vers qui il ventile l’argent public de “sa” réserve parlementaire reste une démarche souvent incongrue et forcément soupçonneuse.
Nos députés, tout comme nos sénateurs, bénéficient d’une réserve parlementaire, soit une ligne budgétaire annuelle mise à leur disposition pour financer des projets d’intérêt général dans leur circonscription.
On estime, au gré de nombreuses sources concordantes, que l’enveloppe parlementaire s’élèverait en moyenne à 130.000 euros par élu, soit près de 3 millions d’euros par an pour un total de 23 parlementaires représentant les Français établis hors de France.
Oui, 3 millions au bas mot. Ce montant est l’équivalent du budget de fonctionnement annuel de l’AFE, Assemblée des Français de l’étranger et ses 155 élus (3,3M€).
Les seules réserves parlementaires des 11 députés des Français de l’étranger représentent le coût cumulé des dotations du fameux “programme 151” du ministère des Affaires étrangères :
– Organismes locaux d’entraide et de solidarité (ex-sociétés françaises de bienfaisance) : 398 000 euros
– Organismes d’assistance : 100 000 euros
– Emploi et formation professionnelle : 797 000 euros
– Subventions aux centres médico-sociaux : 279 000 euros
Total : 1 574 000 euros
Qu’est-ce que je propose ? Je demande que les élus de l’AFE, dont je fais partie, soient informés et consultés sur les projets aidés dans le cadre de la réserve parlementaire.
Pourquoi ? Les élus à l’AFE ne disposent d’aucune information permettant de connaitre le montant dont chaque parlementaire dispose, ni d’aucune liste des projets aidés dans le cadre de la réserve parlementaire alors que cette information pourrait leur être utile dans leur mission au sein des Comités consulaires pour l’action sociale (CCPAS) et pour l’enseignement et la formation professionnelle (CCPEFP).
Lors des travaux de la 18ème session de l’AFE, j’ai proposé à notre commission des Finances d’adopter un voeu en ce sens. Il fut voté à l’unanimité pour mon grand bonheur et rédigé en ces termes :
L’AFE émet le vœu :
– Que les parlementaires associent les élus de l’AFE dans un exercice collectif de réflexion sur l’attribution de ces aides avant de prendre leur décision dans le respect de leurs prérogatives,
– Que les parlementaires des Français établis hors de France publient l’affectation des réserves parlementaires.
(Lire : Voeux de la commission des Finances de l’AFE – mars 2013 – fichier pdf)
Las, au moment de la plénière, des sénateurs sont montés au créneau pour manifester leurs réserves. Puis, le président de la commission a retiré le vœu comme il en a le pouvoir.
L’AFE réunie en plénière, le 7 mars 2013 à Paris (Photo Olivier Bolvin / MAE)
Ce désaveu fut pour moi navrant. Comme Agnès Verdier-Molinié l’écrit dans son ouvrage “60 milliards d’économies !” : “cette tradition de l’opacité héritée de l’histoire est devenue totalement irrationnelle.”.
Le 7 mars 2013, j’ai demandé à Axelle Lemaire, députée socialiste de la circonscription d’Europe du Nord, ce qu’elle avait fait de l’enveloppe qui lui avait été allouée. Elle m’a confié que toute sa réserve parlementaire avait été distribuée à des associations Flam, ces “petites écoles du samedi” qui permettent aux jeunes enfants d’acquérir les bases de la langue française, sans qu’il soit possible de savoir qui a reçu quoi. Les conseillers éducatifs de l’ambassade n’ont pas pu savoir, non plus, ce qui avait été attribué par notre députée…
Axelle Lemaire aurait donc versé environ 130.000 euros aux associations Flam d’Europe du nord. Cela équivaut à près du quart de l’enveloppe mondiale consacrée au programme Flam par le ministère des Affaires étrangères !
Certains parlementaires commencent à publier la liste des bénéficiaires et quelques-uns ont opté pour l’affichage des montants alloués. Je souhaite encourager ces bonnes pratiques qui paraissent évidentes dans les pays d’Europe du nord et permettent d’améliorer l’image des élus qui oeuvrent pour le bien public. La transparence limiterait d’ailleurs les polémiques politiciennes et les soupçons de clientélisme.
A titre d’exemple, en 2011, à quelques jours de l’élection sénatoriale, la sénatrice socialiste Claudine Lepage mettait en cause, sur son blog, l’utilisation de la réserve parlementaire à des fins électorales par le président du Sénat Gérard Larcher (lire : Communiqué du PS – réserve parlementaire). Aucune suite n’a été donnée après les élections. Laisser planer le doute sur la régularité de l’utilisation de ces ressources par l’ancien président du sénat m’a paru diffamatoire et peu républicain de la part du parti socialiste.
Ces pratiques nourrissent l’antiparlementarisme. Il me paraît nécessaire de nous donner les moyens d’y mettre un terme!
Photo Flickr de Dappled_dag